Je suis fasciné, troublé comme tombé dans un néant où je ne suis rien. Elle est là dans le papier peint à la place d'une fleur. Un regard noir et intense qui vous perçait le cœur. J'étais pris à mon jeu, celui de chercher des visages dans les murs. Cette fois c'était comme d'être pris dans une toile d'araignée.
Ma journée était foutue. Je n'osais en parler autour de moi. J'étais pressé de revenir chez moi pour la revoir. Un beau visage presque complet mais c'est surtout les yeux qui vous défiaient, vous transperçaient. J'en pouvais plus et j'ai appelé ma femme pour lui montrer. Rien ! Elle s'est moquée de moi me disant qu'elle ne voyait qu'une banale fleur comme partout.
Le lendemain ça devient terrible. Elle était là mais, incroyable, ses yeux étaient fermés. Là ça devient inquiétant. Je restaisfigé devant ce maudit papier. Je décidaisd'en parler à Bernard, un psy... Ecoute, mon pauvre vieux, c'est dans ta tête. Ton esprit crée, imagine et habille ta fleur, ça va te passer.
Je décidai de me retenir et de ne plus aller voir. N'empêche j'étais blackboulé. Je me pose des questions sur mon équilibre mental. Diminué ! J'arrêtais pas de faire des bilans sur mon passé, mes faiblesses...
Je veux voir. J'avais mordu et mon devenir était dépendant de cette image. Et là, NON, c'était pas possible... A la place du visage féminin c'est celui d'un homme. Un regard ironique, des sourcils fournis, une moustache. Une ébauche de sourire. Fascinant ! Que me veulent-ils ? Obsessions.
Le jour suivant, c'était pire. Il y avait des visages partout, un vrai théâtre avec des mimiques différentes. Je tremble et tombe par terre. Je perds connaissance. On me soulève mais qui, dans quel univers ?
Je suis interné.
Je me réveille dans une chambre aux murs blancs, très blancs. Pas un nuage de couleur, pas de point lumineux. Ma raison glisse désespérément dans ce silence immaculé. J'attends.
Ce que je craignais arriva. L'infirmière. Elle avait le visage de mon désespoir. Celui de mon papier peint. Un grand sourire, de grands yeux, une grande piqûre à la main. Je vais intimement m'occuper de vous. Nous allons nous entendre. Je sais que vous ne pouvez pas beaucoup... alors je vais vous laver et vous nourrir.
Avec le temps ma dépendance grandissait. Certes, Paula, n'était pas agressive. Au contraire, elle m'appelait son bébé. Certains mots m'inquiétaient quand même. Genre, tu verras, je vais t'habiller de couleurs attrayantes, séduisantes. Tu va avoir une grande famille qui te protégera. Et quand tu seras plus grand, mon bébé, tu domineras
un grand territoire. Encore une petite piqûre pour me faire plaisir...
Le plus épouvantable, c'est la nuit. Le mur blanc s'éteignait et c'est une grande orgie de couleurs, de forêts, de fleurs, d'animaux, et à moitié éteints des gémissements d'enfants. Un cauchemar.
Une nuit, j'ai eu la surprise d'une nouvelle terreur. Paula me surprit, me poussa et se glissa dans mon lit. Elle était nue et froide, glaciale. Me caressant, elle murmurait des mots incompréhensibles. Tu vois, mon bébé, on est les maîtres du monde. Je t'apprendrais à te promener dans le cerveau des enfants comme des adultes. C'est un immense plaisir, tu te déguiseras sans retenue.
Où trouver des forces pour ma délivrance de cette prison ? Dans un coin protégé de mon cerveau, il y avait ma famille, mes amis, mes acquis. Je m'accrochais à ces valeurs. Il me fallait tuer Paula... Comment ?
Je remarquai qu'elle avait une odeur spéciale. Oui, l'odeur de la colle pour papiers peints. Et je sais que vous avez deviné ce que je soupçonnais : elle voulait m'intégrer dans les papiers peints. Faire de moi un démon.
Avant qu'elle ne se glisse dans mon lit, j'installai un tuyau branché au robinet. Paula, ton bébé va prendre une douche avec toi. J'ouvrai et un puissant jet d'eau fit glisser et déchirer son corps glacé. Le papier peint était foutu.
Je me réveille. Un docteur. Et bien vous nous avez fait peur, quinze jours de coma... Vous allez bientôt rentrer chez vous et rejoindre votre petite femme. Je suis guéri.
APRES LE PAPIER
Guéri. Ma femme me met une écharpe autour du cou, un bisou et je suis bon pour la reprise à mon bureau. J'étais content de retrouver mes collègues après cetteincroyable aventure du papier peint.
Je suis rouge de rage et de confusion. Humilié. Je tends la main et aucun de mes amis ne me répond, ne me voit. Je reste la main tendu, invisible. Pire, mon bureau est occupé et on me ferme la porte au nez.
Dehors. En traversant, j'ai failli me faire écraser plusieurs fois. J'en étais convaincu, on ne me voyait pas. Qu'est-ce qu'il se passe ? Je retourne chez moi. Pas facile... Je ne retrouve pas mon quartier, ma maison. Plusieurs heures sont passées, la nuit tombe et je suis comme un con sous la pluie, abandonné.
Je me mets contre un mur et finis par m'asseoir. Je prenais l'aspect misérable du clochard. Larmes et faim. Personne ne me remarquait. Je n'existais pas. Curieusement, la pluie était comme une bénédiction. Je me noyais. Puisque il faut en finir, j'attends de voir l'Auteur de ma chute.
Pas tout à fait seul. Il était là devant moi à m'observer, les yeux mouillés et le pelage blanc sale. Ce chien avait tout de l'animal abandonné. Pourtant, il y avait comme un regard intelligent qui calculait devant cet humain déchu. Il faisait mine de partir et revenait, indécis, se demandant si je valais la peine. Après beaucoup d'hésitation, il se mit à côté de moi et resta regarder la pluie comme une fatalité à partager. Je le nommai Bozo. Nous sommes dans le dépit.
Elle. Difficile de la décrire, sous son aspect sauvage, des vêtements noirs et usés. Marginale certainement, on pouvait voir un physique irréprochable ; Visage, jambes, corps... C'est au cours d'une rixe qu'on l'a rencontrée. Un couple complètement ivre se disputait se donnant de méchants coups. L'homme finit par se sauver, la femme le poursuivant en hurlant. Ils abandonnaient un petit garçon sur le banc. Muet, son regard criait la panique, la peur. C'est là qu'elle est intervenue en prenant l'enfant par la main. Sans parler, son regard nous jugea complices. D'accords pour partir...
Il murmura s'appeler Bip. Il manquait comme nous tous d'un bain et de vêtements décents. Il semblait n'avoir aucun regret de voir ses parents partis. On voyait qu'à son âge il avait vu défiler bien des malheurs. La faim, les coups, le froid...
J'avais décidé de ne pas retomber dans le bain de l'émotion, de l'amour. Je suis encore dans le doute et surtout décidé à comprendre. Je sais le paradis de l'échange mais je sais aussi l'enfer du moi seul, du besoin, de la dépendance. Mais voilà ma rage n'est pas éteinte. J'ai abordé Mya comme on franchit un sommet de bonheur. Le ciel nous donne l'amour comme l'aboutissement d'une vie. Mais aussi, il nous cloue comme d'innocents papillons sur la planche du temps et de l'incertitude.
On se regardait, on avait envie de rire de l'image qu'on projetait... C'est Mya qui prit l'initiative en nous conduisant à une maison isolée, abandonnée. Notre vie réclamait un peu de joie d'être. Plus rien ne manquait pour s'organiser et jouir de ce présent. Pour ma part, j'ai compris que j'avais une double personnalité et cette dernière me convenait au-delà de toute... C'est la seule réponse à l'Inconnu. Un bonheur.
Moi, le chien, la femme et l'enfant.